
Le 4 juillet 2025, l’Assemblée nationale a adopté la très controversée loi Duplomb, du nom de son instigatrice, la députée Élise Duplomb (Parti de l’Avenir Rural). Officiellement destinée à « soutenir la compétitivité de l’agriculture française face aux pays tiers », cette loi autorise le retour de plusieurs substances pesticides auparavant interdites en raison de leur toxicité avérée pour la faune pollinisatrice.
Parmi les premières victimes de cette décision législative figurent sans conteste les abeilles, déjà décimées depuis deux décennies par un cocktail mortel de pesticides, de parasites et de perte d’habitat. Le vote de cette loi fait donc l’effet d’un nouveau coup de massue dans un contexte où les populations d’abeilles, sauvages comme domestiques, peinent à survivre.
Une loi au service de l’agro-industrie
La loi Duplomb prévoit, entre autres, la réintroduction encadrée de néonicotinoïdes, pesticides systémiques pourtant interdits en France depuis 2018 en raison de leur rôle direct dans l’effondrement des colonies d’abeilles. D’autres substances chimiques, comme le fipronil ou le sulfoxaflor, pourront également faire leur retour dans les champs, sous prétexte de permettre des « traitements exceptionnels » face à certaines maladies des cultures.
Derrière les discours rassurants sur le « pragmatisme agricole » se cache une réalité bien plus cynique : la pression exercée par de puissants lobbies agrochimiques et certaines filières agricoles intensives, notamment la betterave sucrière et le maïs. En cédant à ces pressions, les parlementaires ont sciemment choisi d’ignorer les alertes scientifiques et les appels à la prudence lancés par les apiculteurs, les écologues et les défenseurs de la biodiversité.
Les abeilles, sentinelles d’un désastre annoncé
Les abeilles, domestiques ou sauvages, ne sont pas de simples insectes butineurs. Elles assurent à elles seules une part essentielle de la pollinisation de nos cultures et de la flore sauvage. Selon l’INRAE, près de 80 % des plantes à fleurs dépendent de la pollinisation animale, et parmi ces pollinisateurs, l’abeille est la plus active et la plus efficace.
Depuis les années 1990, les populations d’abeilles connaissent un déclin alarmant. En France, environ 30 % des colonies disparaissent chaque année, avec des pics pouvant atteindre 50 % dans certaines régions. Ce phénomène est multifactoriel : varroa destructor, appauvrissement génétique, monocultures, changement climatique… mais l’exposition chronique aux pesticides reste l’un des facteurs les plus déterminants.
Les néonicotinoïdes, surnommés « tueurs d’abeilles », agissent directement sur le système nerveux central des insectes. À faibles doses, ils désorientent les butineuses, perturbent leur navigation, leur capacité à retrouver la ruche, à se reproduire ou à communiquer. À plus forte dose, ils provoquent la mort pure et simple. Et parce qu’ils sont systémiques, ces pesticides se retrouvent dans le nectar, le pollen, la rosée, la cire, exposant les abeilles de manière constante.
Une régression écologique
L’adoption de la loi Duplomb marque un retour en arrière de dix à quinze ans dans les politiques environnementales françaises. En pleine crise climatique et à l’heure où l’Union européenne pousse à la réduction des intrants chimiques dans l’agriculture (objectif -50 % d’ici 2030 dans le cadre du Green Deal), la France fait un choix inverse, incohérent et dangereux.
« C’est une trahison », déclare Marc Lenoir, apiculteur professionnel en Bourgogne. « On nous a promis une agriculture plus respectueuse, on nous parlait de transition, de souveraineté alimentaire durable… et voilà qu’on nous balance à nouveau des poisons déjà responsables de pertes colossales. Les abeilles ne tiendront pas le choc. »
Plusieurs ONG environnementales ont immédiatement annoncé leur intention de saisir le Conseil constitutionnel et la Cour de justice de l’Union européenne, arguant que la loi Duplomb viole plusieurs engagements internationaux pris par la France, notamment en matière de protection des pollinisateurs et de santé environnementale.

Des conséquences en cascade
La disparition accélérée des abeilles ne concernera pas que les apiculteurs. Ce sont des écosystèmes entiers qui seront fragilisés, car les abeilles jouent un rôle clé dans la reproduction de nombreuses plantes. Leur déclin engendre à son tour celui des oiseaux insectivores, des petits mammifères, et de la flore locale.
Sur le plan économique, la valeur de la pollinisation assurée gratuitement par les insectes est estimée à plus de 150 milliards de dollars par an à l’échelle mondiale. Sa disparition obligerait à recourir à des pollinisations artificielles, coûteuses, inefficaces, et inaccessibles pour de nombreuses cultures.
Quant aux consommateurs, ils seront eux aussi impactés. Moins d’abeilles signifie moins de diversité dans nos assiettes : adieu les amandes, les pommes, les fraises, les melons… Une alimentation moins variée, plus chère et moins nutritive nous attend, à cause d’une loi adoptée dans une logique de court terme.
Un réveil citoyen urgent
L’affaire Duplomb pourrait bien devenir un tournant politique et écologique. Depuis son adoption, des pétitions ont recueilli en quelques jours plus de 2 millions de signatures. Des manifestations sont prévues dans plusieurs villes françaises, rassemblant apiculteurs, écologistes, jardiniers, enseignants, scientifiques et simples citoyens inquiets de cette fuite en avant.
Car cette loi n’est pas seulement une décision technique. Elle traduit une vision du monde dans laquelle la nature est une variable d’ajustement, sacrifiée au profit d’une productivité agricole qui ne tient aucun compte des limites biologiques.
Face à cela, chacun peut agir. En interpellant ses élus, en soutenant les apiculteurs locaux, en privilégiant les produits bio, en cultivant des plantes mellifères, en rejoignant des collectifs de défense de la biodiversité… chaque geste compte.
Les abeilles ne votent pas. Mais elles nous nourrissent. Et si nous les laissons mourir, c’est notre avenir tout entier que nous mettons en danger.